jeudi 1 juillet 2010

18° entretien

Entretien N° 18
Manet2 et Manet1
1 juillet 2010



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Manet1:
Nous avons vu un film qui s'appelle « Un monde sans eau » .

Manet2:
Un résumé a été fait mais il semble insuffisant pour ce blog? Cela n'a pas été, pour moi, une grande découverte sauf en ce qui concerne la revente d'eau à la sauvette au Kenya.

Manet1:
Pourtant, la séquence sur le Bangladesh est passionnante. On y décrit des ilots sur un fleuve qui sont peu à peu emporter par l'eau. Il faut s'imaginer que la femme qui parle c'est peut-être Manet2. Puis il y a un homme qui s'exprime et cela pourrait être Manet1. Nous, nous vivons ici dans une situation et là-bas, au même moment, ces deux personnes vivent une situation différente. Technologiquement, ils sont environ 200 ans en arrière par rapport à Manet2 et Manet1 et à leur aujourd'hui de 2010, ici.

Manet2:
Ils ne peuvent pas avoir de racines.

Manet1:
Au contraire, ils sont enracinés non dans la Terre mais dans leur société. C'est la société qui enracine. Quand une population est nomade, elle ne cesse de se déplacer: elle est profondément enraciné dans sa nomadisation. On y trouvera les parents, les grands parents, les prêtres, les amis et les ennemis. Là où il n'y a pas d'enracinement, c'est dans le cas d'un enfant qui naît à un endroit, qui est retiré au groupe où il est né, qui est mis ailleurs et ne cesse d'être déplacé de familles d'accueil en familles d'accueil. Ce n'est pas le cas au Bangladesh: dès qu'une île est sur le point de disparaître, le groupe s'empare de la structure en tôle ondulée pour l'installer dans un endroit moins risqué. C'est un signe d'enracinement.

Manet2:
Ce sont des gens qui se sont adaptés à ces situations là.

Manet1:
Nous arrivons à Maubeuge. Nous y vivons. Il y a une tornade, tous les cents ans. Elle élimine surtout des arbres et peu de maisons. Donc au bout d'un court laps de temps, les blessures disparaissent. Dans la maison vivent plusieurs générations et cela ressemble à de la stabilité. Au Bangladesh, les gens vivent depuis des centaines d'années, sur des îles qui ne cessent de se modifier. Et ce qui est étonnant, c'est l'explosion de la démographie. Elle atteint une densité de 1083 habitants au km² soit dix fois plus que la France. Un français aurait tendance à penser en partant de son modèle que la démographie dans ce contexte devrait être inférieure à celle de la France. C'est le contraire. C'est un pays-fleuve.

Manet2:
La population se sauve. C'est ce que dit la femme dans son interview. Ils n'ont pas le choix et ils doivent s'adapter. C'est leur vie: ils sont bousculés, ils se sauvent puis ils rebâtissent la maison. Et ils font des enfants. Ils n'ont que cela à faire.

Manet1:
Les enfants devraient mourir s'ils étaient dans des conditions insupportables.

Manet2:
Leur environnement est peut-être très sain. Ils ne peuvent que s'accrocher à l'espoir d'aller vivre là où la terre subsiste.

Manet1:
Manet2 a-t-elle choisi de vivre dans la ville où elle vit à présent?

Manet2:
Elle a suivi son mari et s'est plu dans la ville où ils se sont installés.

Manet1:
Manet2 a-t-elle choisi de naître dans la région ou dans le pays où elle est née?

Manet2:
Les gens qui transportent leur maison ne choisissent pas de vivre là où il vivent. Ils sont menés par l'eau.

Manet1:
Ils sont dans la même situation que Manet2 ou Manet1. Il fallait voir ce film. Car il est intéressant à situer dans un contexte éthologique. Les humains naissent et vivent dans des endroits qui facilitent leur vie. Quand c'est le cas, ils ont beaucoup d'enfants. Et par delà le mépris du riche pour le pauvre qui prétend que l'on a des enfants quand on est fruste et quand c'est le seul plaisir de la vie que ces gens là savent trouver.

Manet2:
C'est évident. Il y a de cela aussi.

Manet1:
Non, car si cela se passait ainsi, il y aurait beaucoup plus de délinquants. Il y a des familles nombreuses équilibrées.

Manet2:
Mais il n'y a pas d'éducation. Ces jeunes n'ont pas la tête envahie par l'argent.

Manet1:Il y a de l'argent mais l'argent ne sert qu'à l'échange. Ce n'est qu'un moyen. La richesse, c'est le rang social que l'on occupe.

Manet2:
Je serai curieuse de rencontrer ces gens et de discuter avec eux. J'ai trouvé que ces personnes ne pensent pas. Ce sont leurs ressources de vie éternelle. Mais elles se sauvent dès que l'eau envahit l'espace qu'elles habitent. Il y a de moins en moins d'espace et de moins en moins de sécurité.

Manet1:
Elles ne se sauvent pas mais s'adaptent à une nouvelle situation. Si toutes les terres avaient tendance à disparaître, ils n'auraient pas construit des maisons en tôle pour les déplacer d'une île à une autre. Ils auraient des tentes ou des abris en herbes qu'ils abandonneraient à chaque fois. Ici, ils savent que si une île disparaît, ils en trouvent toujours une autre. C'est pour cela que la population continue à augmenter: même si des terres disparaissent, il y en a toujours d'autres où on peut s'installer et trouver ses ressources de vie éternelle lesquelles autorisent la naissance de dix enfants.

Manet2:
Ça va se terminer un jour! Un jour, ils vont retrouver la terre ferme. L'eau ce n'est pas l'univers. Il y a bien la terre ferme quelque part.

Manet1:
Non. Il fallait donc en parler.

Manet2:
On y reviendra.

Manet1:
Nous vivons ici comme ci notre contexte était éternel et dans un univers de stabilité. Alors que la Manet2 du film vit dans un contexte et un univers différents.

Manet2:
Je comprends cette vie-là.

Manet1:
Il faut également en saisir la différence. Et nous avons un point aveugle sur celle-ci. Une personne qui n'a jamais connu que la pression et la violence, si nous lui disons « vous avez besoin d'amour », elle ne comprendra pas.

Manet2:
Ils comprennent quand je leur en parle.

Manet1:
Ils ne comprennent pas dans le sens où cela puisse devenir efficace et que cela leur permette de ne plus se retrouver en prison. On comprend parce que c'est du français mais il s'agit ici de le faire sien.

Manet2:
Il vit une catastrophe.

Manet1:
Non.

Manet2:
Il faut mettre cela au clair.

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Manet1:
Il faut voyager et lire. Les indiens vivaient dans des wigwam, chassaient le bison, rencontraient leurs difficultés. Par exemple, les saumons doivent remonter la rivière à partir du début d'avril et ils n'apparaissent qu'à la fin. Entre temps, ils manquent de protéines animales. La disette s'installe. Ils chassent les élans mais à partir de la fonte des neiges, ces animaux migrent vers les pâturages de montagne. C'est leur univers de ressources de vie. Comme à Maubeuge, le dimanche à 22 heures, les camions peuvent de nouveau franchir la frontière belge et circuler en France.

Manet2:
Ces gens ne sont pas instruits. Ils ne vont pas à l'école. Ils vivent, un point c'est tout.

Manet1:
Erreur, ils sont plus instruits que nous. Quand ils vont dans la forêt ils connaissent toutes les plantes. Leur instruction est à la mesure de leurs besoins. Nous avons besoin d'une instruction théorique parce qu'il y a beaucoup de choses qui durent, les fonctions sont plus complexes et différenciées. Il faut des musiciens ou des architectes. Dans une société indienne tout le monde est musicien, architecte ou militaire.

Manet2:
Pourquoi ne vivrions-nous pas comme ces gens-là?

Manet1:
Parce que la situation est ainsi. Si nous nous installions au Bangladesh, à la première époque nous nous souviendrions de l'Europe, puis ce souvenir s'estomperait.

Manet2:
Nous ne savons pas s'ils sont heureux. Ils sont comme cela.

Manet1:
Ils sont aussi heureux que nous. Tous les vivants sont comme cela.

Manet2:
Non

Manet1:
Si avec cette nuance que à chaque moment il y a les gens très heureux, les gens sans bonheur ni malheur et les gens malheureux. Des gens qui vont transgresser des règles ou les appliquer.

Manet2:
Donc en éthologie, on regarde et on ne touche à rien. Peut-on aider? Peut-on trouver des solutions? On constate?

Manet1:
Un éthologue qui se présente en un lieu où il y a des humains, constate comment ils vivent et il dit s'ils vivent ainsi c'est qu'ils ne peuvent vivre autrement. Mais s'ils se transportaient à Maubeuge, ils deviendraient Manet2, l'épouse de Manet1, Manet1 ou tout autre maubeugeois.

Manet2:
Un jour, ces gens seront ailleurs! Et dans des milliers d'années.

Manet1:
Oui, ce sont les situations concrètes qui font les gens.

Manet2:
Dans un millier d'années, il n'y aura plus rien des situations actuelles. J'en suis sûre. Les gens auront quitté ces zones. Les bengalis vont découvrir de vraies maisons.

Manet1:
Cela peut-être un succès ou une catastrophe. On fête ces jours ci les 50 ans de l'indépendance de la République Démocratique du Congo. On peut dire que ces 50 ans ont mené le pays à la catastrophe et que la situation aujourd'hui est plus dramatique qu'en 1960. Il ne faut pas exclure ce scénario dans l'évolution des pays. La région a régressé. La République Sud Africaine a souffert de l'apartheid mais après la chute des Blancs, il y a eu un transfert de tous les savoir-faire et le pays s'en sort. L'inverse s'est passé en RDC. Donc on ne peut dire que cela ira dans le bon ou dans le mauvais sens. Les congolais vont chercher du charbon comme on le faisait au Moyen Age en France.

Nous avons tendance à dire que l'Europe est au sommet du progrès et tous les pays du monde vont suivre notre exemple. C'est vrai pour la Chine. Mais c'est parce que au XVII° siècle c'était le pays le plus riche et le plus puissant du monde – très organisé et très centralisé - et le problème est qu'il avait raté l'industrialisation. Il y a eu une phase où il a été écrasé par un grand nombre d'envahisseurs. Les Européens et les Japonais ont tenté de la dépecer. Mais ils ont réagi et ils rattrapent leur retard sans problème et comme ils sont plus autoritaires que nous, ils rencontrent moins d'obstacle que nous pour aller de l'avant. Mais ce n'est pas le cas de l'Afrique.

Manet2:
Il me semblait qu'on trouvait au Bangladesh un début d'un changement qui allait dans notre sens.

Manet1:
Ce pays produit du jute et du chanvre. Si à un moment donné, il n'y a pas une puissance capitaliste qui injecte de la technologie et de l'argent pour les faire évoluer vers d'autres modèles, ils peuvent durer longtemps dans leur système actuel avec leurs maisons en tôle ondulée, leur jute et leurs îles.
Cette puissance investisseuse ne viendra que si elle trouve un intérêt, du pétrole ou des matières premières stratégiques.

Manet2:
Ils ne cherchent pas à évoluer.

Manet1:
C'est un faux problème: ils évoluent depuis toujours.

Manet2:
Mais leur mode de vie?

Manet1:
Ils sont heureux peut-être plus que nous.

Manet2:
Je n'arrive pas à suivre ce raisonnement car j'avais vu le début d'une marche vers le progrès et de la disparition de ce sous-développement. Je vais retravailler là-dessus.


- 3 -



Manet1:
Parlons du voyage en Croatie.

Manet2:
Manet1 s'intéresse toujours à l'envers du décor et la personne qui est en face de lui est bloquée.

Manet1:
C'est inexact. La question qui se pose est qu'est ce que Manet2 a vu pendant un voyage d'une semaine en Croatie.

Manet2:
Elle n'a pas vue comment vivent les Croates. Le groupe a justement fait ce reproche au guide. Entre Split et Dubrovnik, il y avait des champs de mandarines et d'oliviers. C'était donc leur agriculture. Le guide aurait du en parler car le groupe voulait savoir de quoi vivaient les gens d'ici. Le groupe a longé la côte et il n'a pas vu comment était l'arrière-pays. Il y avait du bétail et beaucoup de bergers ainsi que des plantations. Il fallait aller à Split. Il n'y a eu de découvertes qu'avec les yeux. Sur le nord, il n'y a eu que des informations historiques. Dans les îles, il y avait beaucoup de cascades de 1 à 1,5 km entre les maisons dans les villes et dans les villages. La mer et les montagnes sont splendides. Par rapport à la Corse, la Croatie paraît très vivante. Le logement et la nourriture étaient irréprochables. On ne peut parler que de ce que l'on voit. Il y a eu une soirée chez l'habitant avec musique, produits et costumes du cru.

Si cela avait été un voyage individuel, le récit en aurait été différent comme l'a été le premier voyage à Lubeck de Manet1 et de son épouse. En matière de découverte, c'est le jour et la nuit. En Croatie, la découverte s'est faite à travers un groupe. Ce fut une belle semaine de découverte d'un pays. Il y avait de la beauté, des personnes très intéressantes, beaucoup de discussions. Mais ce n'est peut-être pas comme cela que l'on découvre un pays. Quand on part en voyage organisé pour au semaine, il y des sorties supplémentaires qu'il faut choisir. Comme c'est du haut de gamme, on ne voit que des belles choses. C'est la première fois que nous avons vu des villes aussi belles et aussi propres.

Qu'en penses-tu?

Manet1:
Qu'est ce qu'un humain Croate?

Manet2:
Le guide disait que les Croates ont beaucoup souffert. Mais depuis cinq ans, ils ont décidé de profiter de la vie. Ils sont tous sur-endettés. Les congés payés n'existent pas ni les 35 heures, ni les RTT, ni les vacances. Tout le monde fait du troc, a deux métiers. Aucune maison n'est délabrée. Il n'y a pas de petites voitures. En novembre 2010, ils vont commencer à payer des impôts locaux pour la première fois. Ils veulent bien entrer en Europe à condition que rien ne change dans leur pays. Les parents des guides de Split, Zagreb et Dubrovnik ont fait des études supérieures. Leurs parents ont travaillé en Europe et une fois à la retraite sont rentrés au pays. Ces jeunes ont déclarés que depuis qu'ils sont rentrés au pays, ils en ont plus appris en quatre ans que pendant les six ans passés en France. On ne voit pas la différence entre les Croates et les Français. Il n'y pas de dépaysement.

 

 

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