mardi 14 décembre 2010

35° entretien

35° entretien
Manet1 et Manet2



1) Marta Argerich

Manet1: Nous allons parler cette fois-ci de la prison. Pourquoi une personne se retrouve-t-elle en prison? Il y a plusieurs hypothèses. Nous allons d'abord analyser comment une personne devient un grand virtuose de la musique comme Martha Argerich, la célèbre pianiste. Dès l'âge de cinq ans, elle maîtrise le piano à un point tel qu'il suffit qu'elle lise une partition pour qu'elle la mémorise immédiatement et elle est capable de l'exécuter rapidement. Quand on parle de cela autour de soi, on crie au génie. On pense qu'elle est seule capable de réaliser cette prouesse. C'est vrai qu'il y a peu de virtuoses et encore moins de virtuoses célèbres.

Raisonnons maintenant de manière éthologique. Il faut que les humains soient arrivés à un niveau d'avancement dans la sophistication des instruments de musique pour que les pianos existent. Tant qu'il n'y a pas de pianos, il n'y a pas de virtuoses du piano. Le piano apparaît après divers améliorations des instruments à cordes. Il y a d'abord la harpe, que l'on pince ou que l'on effleure, puis le cymbalum dont on frappe les cordes avec des petits marteaux puis l'invention de la touche qui lance un marteau sur une corde avec un feutre qui éteint le bruit quand on en a envie. Ce sont des mécanismes qui se sont mis en place sur des milliers d'années ( date début des trois types d'instruments en y ajoutant l'épinette et le clavecin entre le cymbalum et le piano).

L'intérêt du piano par rapport  au cymbalum c'est le passage de deux heurtoirs correspondant aux deux mains  à dix , les dix doigts de la main. Certes sur une harpe on joue avec dix doigts mais la richesse tonale est très inférieure, le heurt est moins fort et l'affaiblissement du son peu aisé. Cette progression se fait lentement. Avant le vélo à pédalier, il y a la draisienne que l'on manœuvre avec les pieds qui trainent sur le sol.  A chaque étape, il y a le savant, le virtuose ou le génie de l'étape: celui de la draisienne avant celui du vélo, celui de la harpe, puis celui du cymbalum et enfin celui du piano. Il y a une très étroite relation entre l'humain et l'instrument: les deux apparaissent simultanément.

Mais pourquoi à un moment donné, un humain se spécialise dans le jeu du piano. Dans les faits, il y a déjà beaucoup de pianos et des humains savent qu'en se spécialisant ils peuvent y trouver leurs ressources de vie et leurs ressources de reproduction.

Manet2: Il y a deux réponses, l'une pour l'humain et l'autre pour le piano.

Manet1: Avant cela, il y avait dans l'ordre, la harpe, le cymbalum, l'épinette, le clavecin et le piano. Si l'inventeur du piano ne parvient pas à le vendre, c'est une découverte morte-née. Une personne fabrique des pianos parce qu'il y a des acheteurs fermes et elle ne fabrique pas un seul piano pour une seule personne, sauf la première fois. C'est ainsi pour toutes les inventions. Il faut qu'elles entrent immédiatement dans l'usage.
Une fois que le piano est créé, la virtuosité des doigts devient un atout majeur alors qu'avant cela n'aurait été qu'une curiosité sans lendemain comme de tambouriner sur une table. Pour devenir virtuose du piano, il faut commencer à former les doigts et apprendre la musique dès l'âge de 4 ans, date de forte création de synapses dans le cerveau qui consolident tous les automatismes acquis alors. Il y en a qui débutent plus tard mais ce sont ceux qui ont commencé le plus tôt qui ont  le plus de chance de réussir. La virtuosité ne suffit pas: il faut que l'environnement familiale y concourt de manière harmonieuse. Toute la famille de Martha Argerich aimait la musique et était favorable à l'idée que la petite fille se consacre entièrement au piano et à la musique. On ne lui disait pas de passer d'abord son baccalauréat et qu'elle penserait ensuite à ce qu'elle voudrait faire dans la vie.

En outre quand on se met à jouer de la musique dans un si jeune âge, tous les sentiments, les pensées et les actions à cette époque s'expriment également à travers l'instrument. On mûrit très vite car la musique est avant tout destinée aux adultes. L'enfant va s'y exprimer complètement et va conquérir une place dans la société.




2) La personne qui va en prison

Et la personne qui va en prison comment se situe-t-elle par rapport à cela? D'un côté un enfant apparaît dans un milieu du type de celui des parents de Martha Argerich. Et il y en a un autre qui nait dans un milieu déficient.

Manet2: La musique est un univers supérieur. On n'y trouve pas le mal et les gens sont très cultivés.

Manet1: Oui et non. On pourrait trouver une famille qui accepte le piano et la musique dès l'âge de quatre ans mais dont les parents pourraient être psychologiquement déséquilibrés. Le père de Mozart a dressé son fils plus qu'il ne l'a élevé dès l'âge de 4 ans. Il en a fait une singe savant. Il était très sévère.

Manet2: Oui, il peut y avoir des parents qui contraignent leur enfant à devenir un génie. Mais le contraire ne suffit pas à le rendre délinquant.

Manet1: Nous raisonnons sur les 7 milliards d'humains vivants. On va prendre un enfant virtuose d'un côté et un enfant futur délinquant de l'autre. Cela est peu en termes d'échantillon. Il y a des milieux équilibrés: les parents sont corrects, les enfants se comportent bien et étudient normalement. Il y a du bien-être et de la santé en quantité nécessaire et suffisante et pas forcément de la richesse. Et il y a d'autres milieux où tout va mal. Selon qu'un enfant naît dans le premier milieu ou dans le second, il a plus ou moins de chance de se retrouver en prison.

Manet2: Donc le milieu chaleureux dans lequel vit le petit musicien est une protection pour lui.

Manet1: Prenons une situation limite. Une personne est terriblement en colère contre une autre. Si elle vient d'un milieu favorable, elle exclura totalement le passage à l'acte violent alors que l'autre risquera de frapper ou de tuer. Cette possibilité de passer à l'acte se situera entre 0 à 100% de risque selon la déficience du milieu.

Manet2: Oui mais cela ne dépend pas du bien être de la famille mais de son équilibre moral, social et psychologique. A quoi cela tient-il? On dit que telle personne étant donné son passé aurait du être délinquante. Mais elle rencontre dans son enfance la religion, la musique ou toute autre situation positive et forte et elle en réchappe. C'est une protection. Ce n'est pas vrai pour tout le monde.

Manet1: On ne peut entrer dans un système automatique. Mais à chaque moment de la vie, il y a comme une couche qui se dépose dans la personnalité d'un humain sous forme d'expérience ou de vécu du moment. Plus des évènements lourds ont lieu dans le jeune âge plus ils sont structurants. Si dès son enfance, on a mis de l'alcool dans le biberon de l'enfant, il y aura de graves séquelles. Il y aura aussi des difficultés qui ne déposeront pas l'idée du passage à l'acte criminel.


Manet2: Pour d'autres, la raison du non passage à l'acte c'est le peu d'estime qu'ils ressentent pour eux et l'idée que quoiqu'ils fassent cela n'a pas de valeur. C'est peut-être une faiblesse mais ils ne sont pas délinquants.

Manet1: Chaque humain vit un grand nombre d'expériences. Chez les uns, elles inhibent l'idée de pourvoir  commettre un acte délictueux ou criminel et chez d'autres, elle garde cet acte comme étant possible dans 1 à 100% des cas. Quand nous nous promenons dans la rue, la vue d'un enfant ne produit aucune impulsion sexuelle en nous contrairement au pédophile.

Manet2: Ce pédophile a-t-il choisit de l'être? On ne choisit pas!

Manet1: C'est vrai mais de la réponse à cette question découle la solution. Si nous estimons que le pédophile est irresponsable, que fait-on?

Manet2: Personne ne le sait aujourd'hui. La prison, ce n'est pas la solution.

Manet1: Tu oublies ta petite fille qui est si gentille et qui peut un jour être atteinte.

Manet2: Eh bien qu'on mette ce pédophile dans un endroit où il ne pourra plus nuire. Il y a deux ou trois ans, on m'a certifié qu'en Suède il y avait des lieux où les pédophiles vivaient enfermés pendant un temps défini et où ils pouvaient également se soigner ( à vérifier). Personne ne sait que faire contre la pédophilie aujourd'hui.

Manet1: On ne sait pas ce qu'il faut faire parce que l'on ne veut pas y consacrer les moyens nécessaires pour la raison bien simple que les pédophiles condamnés coûtent chers à la société en matière de prisons et de condamnations au civil ( peines pécuniaires). Il y a de l'argent pour lutter contre le VIH ou le cancer car on y gagne beaucoup. En ce qui concerne les pédophiles, il y a du fatalisme et aucun travail préventif du côté de la personne qui a ce problème. Il faudrait un grand nombre de chercheurs.C'est une règle générale, on économise dès que c'est possible: le mineur silicosé qui allait voir son médecin se retrouvait toujours avec un taux de maladie inférieur à la réalité car de ce taux dépendait le niveau de sa retraite.

Manet2: Il faut revenir à la détention.

Manet1: En faisant un petit contournement. Aujourd'hui, nous assistons à la phase finale du combat entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire. Il y a de la guerre civile et les pillages qui l'accompagnent. 

Manet2: Comme après un tremblement de terre...

Manet1: Le pessimiste déclare que dès qu'il y a une crise, une partie des honnêtes gens deviennent malhonnêtes. Si nous étions toujours en temps de paix et si tous les milieux familiaux étaient équilibrés comme ceux de la famille de Martha Argerich, il n'y aurait personne en prison. N'arrivent en prison que des personnes qui viennent de familles à problèmes visibles - problèmes de tous ordres psychologiques ou sociaux - ou invisibles comme ceux, cités plus haut, qui suite à toutes leurs expériences de vie n'excluent pas totalement la transgression. Dès qu'il y a crise, il y a donc augmentation de la transgression.

Manet2: Cela arrive également aux gens de très bonnes familles.

Manet1: Cela, c'est une famille de type Argerich où toutes les expériences de vie auraient laissé la possibilité de passer à la transgression dans 1 à 100% des cas. Il y a des virtuoses de la musique qui ont "mal tournés". Nous touchons du doigt "la méchanceté" humaine. Si les humains n'étaient pas potentiellement méchants, il n'y aurait pas de prison et il n'y aurait pas de pillage lors des tremblements de terre.

Manet2: Cela n'existe pas!

Manet1: Pourquoi? Ce n'est pas de la philosophie mais de l'éthologie et en éthologie, la méchanceté s'explique scientifiquement et non moralement.

3) Les Ressources de vie et de reproduction

Manet2: Nous en revenons toujours à la quête des ressources de vie et à la quête des ressources de reproduction.

Manet1: Il y a des choses que l'on peut faire parce que la solidarité les rend possible mais qu'elle interdit parce que les outils ne sont pas destinés à la quête individuelle des ressources de vie. C'est grâce à la sociabilité que l'on invente la carabine. Les chats sont incapables d'en produire. La société des humains interdit d'utiliser la carabine dans le cadre de la lutte entre deux humains pour des ressources de vie.  Dans la schéma darwinien, on constate que les sociétés qui appliquent cette règle sont plus fortes que celles qui ne l'appliquent pas. Mais il y aura toujours quelques "petits malins" qui essaieront de passer outre et une partie d'entre eux se retrouvera en prison. Car si tous ceux qui transgressent les règles sociales étaient sanctionnées, il n'y aurait plus de transgressions. Dans ce contexte, il faut considérer la mise en détention comme une ressource de vie chez les humains.

Manet2: Pourquoi dans les milieux défavorisés, il y a ceux qui transgressent les règles et ceux qui ne transgressent jamais?

Manet1: Parce que nous avons une vision hiérarchique de la société qui nous fait croire que les gens en haut sont bons et les gens en bas sont mauvais. Du point de vue éthologique, c'est par hasard que l'on est en haut ou en bas et c'est pas hasard que l'on est bon ou mauvais. Il y a une géographie sociale avec des chefs, des sous chefs et des simples citoyens mais tous sont les mêmes humains. Il y a les grandes familles avec des arbres généalogiques qui remontent loin et des familles qui n'ont pas de traces au delà des parents qui vivent à proximité ou qui sont inscrits dans les cimetières mais qui ont des traditions d'équilibre et de savoir qui remontent aussi loin sans qu'ils n'aient d'autres preuves que leur vie actuelle. Il y a des familles Argerich à tous les "niveaux" de la géographie des humains. Des traditions orales et coutumières réussies ont été transmises à travers toutes les générations.

Mais d'autres milieux se sont déstructurés  à cause d'émigrations, de guerres ou de crises diverses. Ils ont perdu leur équilibre et il peut y avoir de la transgression qui s'est immiscé dans leur comportement que ce soit "du haut ou du bas" de la société.

En conclusion: il y a la quête des ressources de vie et des règles inventées de manière darwinienne - est renforcé ce qui réussit et est récessif ce qui rate - qui visent à ne pas utiliser les solidarités inventées par l'humain dans la quête de ressources de vie et de reproduction contre un autre humain. Si les humains créent des outils et que ces outils servent à éliminer d'autres humains, il y a une contradiction. La force des humains c'est leur capacité à créer des groupes solidaires de plus en plus grands. Donc ce qui affaiblit cette démarche est combattu.

Manet2: Mais en ce qui concerne la détention que nous ne connaissons pas, comment faire pour l'éviter ou pour qu'elle n'existe pas? Nous sommes de l'autre côté de la barrière. Nous ne rejetons pas les personnes détenues. Nous nous posons des questions car ils sont leurs propres victimes dans le cas de pédophilie, de cambriolage, de violence conjugale où apparaît la souffrance de celui qui le subit.

Nous sommes visiteurs de Prison. Nous sommes humains et nous ne jugeons personne. Nous nous disons que ce que nous leur apportons est dérisoire. Nous leur disons qu'ils sont des êtres humains comme nous mais que nos chemins sont différents. Ils ont besoin de se reconstruire ou de se réinsérer. Bien que je souhaite continuer à visiter, des questions se posent car il y a eux et il y a les autres, les victimes.

Manet1: La sociabilité doit servir à renforcer l'acquisition collective des ressources mais non l'acquisition individuelle aux dépends d'un autre humain. Si on crée un moyen pour renforcer le groupe on ne va pas l'utiliser pour le détruire. Le groupe sert à un individu à être plus fort et non plus faible. Si dans un groupe apparaît un déviant, le groupe va le condamner. Il sera considérer comme méchant. On émettra ensuite l'espoir que face à cette menace, il cesse d'utiliser la solidarité de manière inadéquate. La privation de liberté est alors considérée comme une menace efficace, en sachant qu'elle est plus infirmante qu'on ne le pense: les gens sont obligés de vivre au même endroit ensemble sans l'avoir choisi, surtout s'il s'agit de personnes agressives et surtout si on les empêche de travailler. Comme la mise hors liberté coûte cher, leur niveau de ressources sera limitée par la société.

Il y a 300 ans, la prison était synonyme de rejet total. Et aujourd'hui, on va vérifier que la personne a le minimum pour s'habiller et veiller à son hygiène et en plus les plus démunis aurons au plus 20 euros chaque mois. Cela va dans le bons sens: on supprime la liberté de circuler mais on fait en sorte qu'ils aient le maximum de liberté dans cette situation.

Manet2: Ils sont humiliés et rejetés et ils ne sentent plus humains.

Manet1: Il y a donc deux humains: celui qui ne transgresse jamais et celui qui peut transgresser. La prison est une expérience qui vise à inhiber cette possibilité de transgresser. Mais le hasard fait que cela donnera un résultat positif pour l'un et pas de résultat pour un autre.

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